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Trop long à lire ? Un résumé ⬇
Le temps partiel est souvent vu comme une solution pour l’équilibre vie pro-vie perso, sauf que sa répartition cache des inégalités de genre importantes.
Le travail domestique et la charge mentale des femmes nuisent à leur progression professionnelle et à leurs revenus à long terme, notamment pour la retraite.
La semaine de 4 jours et le revenu universel sont évoqués comme des solutions pour lutter contre les inégalités de genres en lien avec le travail, à condition néanmoins de bien comprendre ces inégalités.
Les effets du revenu universel sur les rôles sociaux et les rapports économiques sont encore peu étudiés. Il pourrait être un levier d'émancipation pour certaines femmes ou de maintien de la segmentation genrée de l'emploi.
Il y a quelques mois, j’ai écrit ma chronique pour le webzine Francine à vélo sur le thème du temps partiel aux Pays-Bas.
Pourquoi ? Parce que les Pays-Bas sont les champions d’Europe du temps partiel avec plus de 50% des salariés à temps partiel mais 70% des femmes et 28% des hommes.
C’est mieux qu’en France où 17,3% des salariés travaillent à temps partiel : 26,7% des femmes et 7,5% des hommes en 2022.
C’est mieux si l’on considère le temps partiel comme une bonne chose dans l’absolu.
Mais comme j’ai pu le constater en écrivant ma chronique sur les Pays-Bas, le temps partiel est autant un piège qu'une opportunité.
Nous ne sommes clairement pas tous égaux devant le temps partiel, plus précisément, les femmes ont beaucoup à y perdre. Même si à un instant T ça peut paraître la meilleure organisation familiale possible.
Et je parle en connaissance de cause !
Quand ma fille aînée est née, pas de problème, on venait de passer aux 35h et je ne me voyais pas diminuer mon temps de travail.
C’était la course, je travaillais à 45-50 minutes de la maison et dépendais des transports en commun pour être à l’heure le matin au bureau et le soir pour récupérer ma fille chez la nounou.
Puis mon fils est né et avec 2 enfants de moins de 3 ans à la maison, le rythme n’était plus tenable ! D’autant que leur père travaillait à 2 heures de la maison (4 heures aller-retour) !
Il faisait le matin, je faisais la fin de journée. On courait comme des oiseaux sans tête toute la semaine !
Du coup, j’ai demandé à travailler moins en finissant à 17h au lieu de 18h chaque jour et en ne travaillant pas le mercredi.
Classique.
J’étais manager donc toujours joignable (au téléphone, c’était avant Whatsapp, Zoom, etc. 😅), j’avais aussi un rôle opérationnel donc je rapportais du travail à la maison le mercredi.
On fait mieux comme organisation du travail…
Mais je suis privilégiée, j’avais de l’aide à la maison. Ce n’est pas possible pour toutes et du coup, le temps de travail est aussi l’enjeu du travail domestique d’une part et des revenus d’autre part.
Le temps partiel : un piège (pour les femmes) ?
Tu penses peut-être que tant que le temps partiel est un choix, il n’y a pas de problème. Finalement, tout est fait pour que nous puissions concilier vie professionnelle et vie personnelle, surtout si on a des enfants.
La réalité, c’est que le choix est quand même assez relatif.
Par exemple, la question de savoir qui, dans la famille, va passer à temps partiel est peu posée : parce que dans la plupart des cas, c’est l’homme qui gagne le plus, parce qu’on pense que c’est à la femme de prendre soin du foyer - surtout s’il y a des enfants en bas âge.
Alors le choix, concrètement, il est bien biaisé !
À court terme : une organisation simplifiée
Je parle ici surtout des familles avec des enfants en bas âge.
Bien sûr qu’avec des enfants pas encore scolarisés ou en maternelle, il est plus simple de travailler à temps partiel. Ça permet d’être avec eux plus souvent, on s’y retrouve affectivement et parfois aussi financièrement.
C’est aussi sans doute moins de stress quand on n’a plus besoin de courir pour aller les chercher à la garderie tous les jours.
Beaucoup de travail gratuit
Au final, le temps partiel des femmes dégage aussi du temps pour qu’elles continuent de prendre en charge le travail domestique…
80% des femmes et 36% des hommes consacrent au moins 1 heure par jour à la cuisine et au ménage et ces chiffres ne bougent quasiment pas depuis 2003…
en 2016, une enquête de l’Observatoire des inégalités a montré que les femmes consacraient 3h26 par jour aux tâches domestiques contre 2 heures pour les hommes.
Avec le temps partiel, ce travail devient en grande partie invisible car il est effectué pendant que le conjoint est absent, au travail.
C’est d’ailleurs une des observations faites au moment de la mise en place des 35 heures : les femmes avaient tendance à utiliser le temps libéré pour le travail domestique quand les hommes l’utilisaient pour eux-mêmes, par exemple pour faire plus de sport.
Le travail domestique est-il du travail ?
Les mères au foyer disent qu’elles ne travaillent pas…
Il faut attendre les années 70 pour qu’une réflexion soit menée sur la nature de ce travail. Jusque-là, la sphère privée n’entrait pas dans le débat politique, elle relevait de l’intime avec une bonne part d’essentialisme : si les femmes assurent la majorité du travail de reproduction (maternité mais aussi entretien de la force de travail à travers l’entretien du foyer), c’est qu’elles sont “faites pour ça”.
L’instinct maternel, tout ça…
En 2010, l’Insee a estimé que le travail domestique représentait 60 milliards d’heures… majoritairement travaillées par des femmes, donc.
Le travail domestique devient un travail quand on le délègue à autrui. Tu fais le ménage chez toi, c’est une activité, tu le délègues à une personne de ménage, c’est un travail.
Et je dis personne de ménage mais on sait que ce sont majoritairement des femmes de ménage. Parce que finalement, les rapports de genre dans le foyer se retrouvent aussi dans la répartition genrée des métiers.
À long terme : plus à perdre qu’à gagner ?
La formation
Les salariées à temps partiel ont les mêmes droits que les salariées à temps plein. Officiellement.
Mais voilà, pour pouvoir se former sur son temps de travail, il faut obtenir l’accord de son employeur. Pour une salariée travaillant à temps partiel, la tentation sera grande pour l’entreprise de lui signifier qu’elle peut se former autant qu’elle veut en dehors de ses horaires de travail.
Le compte personnel de formation est alimenté au prorata du temps de travail. C’est donc moins d’heures de formation disponibles quand on est à temps partiel.
Les promotions
Le travail à temps partiel invisibilise aussi les contributions des salariées. Tu n’es pas à une réunion importante, des informations ne te sont pas transmises, etc. Tu as moins d’occasion de promouvoir tes contributions.
Ça veut souvent dire moins d’occasions d’avancer dans ta carrière ou de participer à des projets intéressants.
Voilà comment Indeed présente les inconvénients du travail à temps partiel… Ça se passe de commentaire, je pense…
La retraite
Pas besoin de donner une longue explication… Moins de cotisations = moins de revenus à la retraite.
Aux Pays-Bas, l’institut pour l’émancipation des femmes a calculé que la différence de revenu entre les femmes et les hommes sur une vie représentait 300 000€ - mais attention, ici 70% des femmes travaillent à temps partiel.
À la retraite, les femmes touchent en moyenne 40% de moins que les hommes. Certes, l’écart qui était de 50% en dans les années 2000 se resserre, mais il reste important. Il est aussi différent entre le privé - jusqu’à 55% de moins - et le public - 14% de moins.
Ces différences sont dues aux carrières fragmentées par des arrêts de travail par exemple pour des grossesses et les périodes de travail à temps partiel.
Parce que la charge du travail domestique n’est jamais prise en compte, les femmes accumulent facilement un “retard” dans leurs cotisations et donc dans la préparation de leur retraite.
Sachant que nous vivons en moyenne plus longtemps que les hommes, c’est autant d’années où nous ne pouvons compter que sur nos revenus…
Le Saint Graal : l’équilibre vie pro-vie perso
Peut-être que toi aussi tu as été biberonnée à l’idée qu’en tant que femme et en tant que mère ont pouvait tout avoir : une carrière brillante, une vie de famille épanouie…
On s’est surtout rendu compte qu’on attendait de nous que nous soyons au top partout !
Wonder woman tourne en bourrique
(oui, c’est une blague de boomeuse et j’assume 😅)
La wonder woman des années 90 réussit dans sa carrière, elle est cadre, manager, a du succès et monte régulièrement les échelons de la hiérarchie, en tout cas jusqu’au plafond de verre qu’elle n’a pas encore réussi à exploser.
Mais elle est aussi une partenaire attentive qui se donne du mal pour conserver le glamour et les paillettes. Elle ne se laisse pas aller. Elle fait des efforts pour son couple.
Et si elle a des enfants, elle sait passer avec eux du temps de qualité même prise dans le tourbillon de la vie quotidienne. Elle cuisine bien sûr, bio, évidemment, et allaite pendant 6 mois en suivant scrupuleusement les recommandations de l’organisation mondiale de la santé.
En un mot, elle est la salariée, la compagne et la mère idéale.
Je me souviens de ma boss quand je suis tombée enceinte qui m’expliquait que je ne devais pas négliger mon couple… c’est-à-dire rester disponible. C’est aussi elle qui nous expliquait qu’en tant que femmes nous nous devions d’être toujours féminines, c’est-à-dire en jupe et en talons.
Est-on revenu de ce modèle ? Je ne sais pas.
J’ai l’impression que l’injonction de perfection dans tous les domaines de la vie s’applique encore beaucoup…
Wonder woman aimerait se sentir “libérée, délivrée”…
Elle a essayé de tout mener de front et elle est fatiguée. Elle a essayé le temps partiel pour trouver ce fameux équilibre mais elle en a payé le prix professionnellement.
Et puis elle est toujours en charge du foyer et sa charge mentale n’a pas diminué.
La charge mentale est un « travail de gestion, d'organisation et de planification qui est à la fois intangible, incontournable et constant, et qui a pour objectif la satisfaction des besoins de chacun et la bonne marche de la résidence », selon la chercheuse Nicole Brais (Université Laval, Québec).
Finalement, le temps non salarié est un temps de travail et d’organisation qui repose majoritairement sur les femmes.
Derrière le mirage de l’équilibre vie pro-vie perso, les inégalités de genre sont en embuscade.
Certes le travail à temps partiel “choisi” permet de faire face à la gestion domestique mais il permet surtout de continuer à reproduire les inégalités de genre dans le foyer. Pas besoin de discuter qui fait quoi, qui pense à quoi, puisque le temps partiel positionne automatiquement la femme sur ce créneau.
Aujourd’hui, la nouvelle frontière de l’équilibre de vie semble passer par le travail indépendant. C’est en tout cas ce qui est valorisé sur les réseaux sociaux…
Tu peux aller lire ce post de Dr Marcia Godard, sur LinkedIn (en anglais) pour comprendre qu’il n’y a pas de solution universelle.
Semaine de 4 jours et revenu universel : vers plus d’égalité de genre ?
Les périodes de confinement du Covid sont passées par là : télétravail, travail nomade (de n’importe où) font maintenant partie des discussions sur l’organisation du travail au même titre que la semaine de 4 jours et de façon tangentielle le revenu universel.
La semaine de 4 jours est-elle la panacée ?
On présente souvent la semaine de 4 jours comme une solution :
Contre le burnout
Contre le désengagement des salariées
Pour plus de productivité
Avant que la semaine de 4 jours soit d’actualité, une enquête (que je n’ai pas retrouvée mais qui date d’environ 6 ans) avait montré que cette organisation du travail ne diminuait pas le risque de burnout, au contraire.
Possiblement parce que la charge de travail n’était pas adaptée à la diminution du temps de travail : les salariées se retrouvaient donc à accomplir en 4 jours l’équivalent de ce qu’elles accomplissaient auparavant en 5 jours.
Alors oui, on peut rogner sur les réunions, les temps informels, etc. mais à un moment, il faut se poser la question de la charge et de l’organisation du travail.
Aujourd’hui, il existe plein de modalités différentes de mise en œuvre de la semaine de 4 jours : 32 heures de travail sur 4 jours ou 35 heures sur 4 jours, le même jour non travaillé pour tout le monde ou le choix du jour laissé à chaque salariée…
Des expérimentations ont été réalisées partout dans le monde. Et on trouve à peu près autant de résultats que d’exemples !
Certaines entreprises en vantent des mérites quand d’autres en sont revenues.
L’expérimentation commence en 2015 en Islande : semaine de 4 jours à salaire égal. En 2019, les résultats sont impressionnants et la semaine de 4 jours est étendue à 90% des entreprises du pays.
En 2022, l’Irlande, le Royaume Uni et l’Espagne lancent également des expérimentations.
Au Royaume-Uni, on relève une baisse de 71% des burnouts, une diminution de 65% des journées d’arrêt de travail et une baisse de 57% des démissions et 39% des salariées se déclarent moins stressées.
Le risque reste néanmoins d’un maintien de la charge de travail condensée sur 4 jours au lieu de 5. Certes 3 jours de récupération permettent (peut-être) de compenser mais quand même.
Et pour les femmes ?
« Cette mesure avait un côté égalité homme-femme non anticipé, car celles qui étaient à 80 % pour garder leurs enfants le mercredi ont pu retrouver un contrat de travail à 100 %. » Laurent de la Clergerie (groupe LDLC), cité par les Echos
Comme tout changement dans le temps de travail, la semaine de 4 jours ne jouera un rôle dans l’égalité des genres que si elle s’accompagne d’une réflexion plus large. Comme pour les 35 heures, diminuer le temps de travail ne suffit pas à mieux répartir les tâches entre les hommes et les femmes.
Et le risque d’invisibilisation du travail domestique reste le même.
Le revenu universel : solution à la précarité ?
Certains secteurs et métiers sont essentiellement féminins, c’est-à-dire que 65% ou plus des personnes qui l’exercent sont des femmes.
Aujourd’hui, en France, 70% des femmes occupent des emplois féminisés… 64 % des hommes exercent des métiers ”masculinisés”.
Et si on y regarde de plus près, on se rend compte que ce sont aussi les métiers féminisés sont ceux qui ont les rémunérations les plus basses et le plus de temps partiels, en particulier de temps partiel subi…
Est-ce que le revenu universel peut répondre à cette précarité ?
Le revenu universel : c’est quoi ?
Revenu de base, revenu d’existence, revenu citoyen, allocation universelle… l’idée est la même : “verser à tout·e citoyen·ne, indépendamment de sa situation familiale et financière, une somme mensuelle fixe (d’environ 700 ou 800 euros dans la plupart des projets), cumulable ou pas avec d’autres prestations sociales”.
Le débat sur le revenu universel a déboulé dans le débat politique en 2017 parce que Benoît Hamon en avait fait une promesse de campagne.
La question du genre dans tout ça
Le revenu universel ne risque-t-il pas de devenir une sorte de salaire maternel freinant l’accès des mères au marché de l’emploi ?
Les femmes travaillent déjà gratuitement dans la sphère domestique : le fait de toucher un revenu inconditionnel ne risque-t-il pas de les maintenir dans ce rôle ?
Ne va-t-il pas segmenter encore le marché du travail en maintenant dans des emplois à temps partiel peu qualifiés les femmes déjà en situation précaire ?
Ne va-t-il pas bénéficier aux classes moyennes qui pourront alors investir d’autres sphères comme le bénévolat ou la formation ?
Pour certaines chercheuses, il permettrait au contraire d’accéder à l’autonomie des parcours et à l’émancipation des plus précaires.
Alors levier d’émancipation des femmes ou maintien de la segmentation genrée de l’emploi avec le maintien des femmes dans des rôles en lien avec le care.
Le problème avec le revenu universel, c’est que l’on manque de recul et d’études sur le long terme pour mesurer son impact sur les rôles sociaux et les rapports de force économiques.
Par exemple, est-ce que le fait de toucher chaque mois un revenu décorrélé du travail et de l’emploi donne plus de pouvoir aux salariées pour le choix de leur emploi ou la négociation de leur salaire ?
Beaucoup de questions sans (encore) de réponse…
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Voilà, c’est tout pour cette fois.