💪🏼Le développement personnel : outil de bien-être ou de contrôle ?
#23. Pourquoi devenir la meilleure version de soi-même ?
Hello et bienvenue dans cette 23e édition d’Oh travail!
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C’est parti !
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Trop long à lire ? Un résumé ⬇
Le développement personnel a ses origines dans les mouvements d’émancipation individuelle des années 60 et s’adresse à des personnes en bonne santé qui veulent devenir la meilleure version d’elles-mêmes
Le problème, c’est qu’il entérine l’idée que nous ne sommes pas assez et devient un business florissant
Il a investi les entreprises de façon concomitante avec l’individualisation de la relation d’emploi dans les années 90
Le management évolue ainsi que le contrôle avec des outils comme le coaching pour l’atteinte de la performance
Le développement personnel devient un outil d’humanisation du contrôle
En France, on estime à 6 millions le nombre de livres de développement personnel vendus entre mai 2021 et avril 2022. Ça fait beaucoup.
Sur les réseaux sociaux, le discours du développement personnel tourne autour de comment “devenir la meilleure version de soi-même”. L’idée est que nous pouvons toutes devenir meilleures à être nous-mêmes. Il existe une version de nous qui est plus performante que la version actuelle. Plus performante au travail, dans la vie, dans la parentalité comme dans les relations amoureuses.
Comme si nous pouvions être des pilotes au contrôle de notre vie (sic !).
Il n’y a certainement pas de mal à essayer de manger sainement et à faire du sport régulièrement. Et je ne veux pas dire que le développement personnel ne sert à rien. Je serai bien hypocrite de l’affirmer alors même que je suis convaincue que pour être bien dans sa vie professionnelle, il faut bien se connaître pour faire les bons choix.
Aucun problème à rechercher pour soi-même ce qui nous permet de nous sentir bien au travail et en dehors.
Mais le problème est double. D’abord les concepts du développement personnel véhicule l’idée que nous ne sommes pas assez. Pas assez mince, sportive, volontaire, motivée… etc.
Ensuite, il prône l’effort personnel dans des situations qui ne devraient pas être de la responsabilité des personnes mais de celle des organisations.
Est-ce que j’ai envie de trouver une solution qui m’empêche d’être stressée ? Oui. Est-ce que cela peut remplacer un management respectueux et bienveillant ? Non.
C’est ce dont on va parler aujourd’hui : c’est parti !
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C’est quoi le développement personnel ?
Fais un tour dans une librairie ou le rayon livres d’un supermarché et tu verras que les rayons dédiés aux ouvrages sur le développement personnel sont légions et faciles à trouver. Je dirais même : surtout à l’approche des fêtes de fin d’année - comme cadeau - et au moment des résolutions de nouvelle année…
Il couvre tous les domaines de la vie : de ton alimentation, au sport en passant par ton organisation et la gestion de tes émotions. Les techniques de développement personnel sont là pour te permettre d’atteindre tes objectifs.
Avec souvent cette expression que je trouve problématique comme je le disais plus haut : devenir la meilleure version de soi-même.
Et le truc avec l’idée que tu n’es pas assez, c’est que tu vas devoir consommer - a minima des livres - pour t’améliorer et, devine quoi ? Tu n’arriveras jamais au bout ! Parce qu’il y aura toujours un niveau au-dessus de là où tu te trouves.
Alors oui, moi aussi je consomme des livres et même des formations qui sont censés m’aider à être plus organisée… et j’y apprends toujours quelque chose.
Il ne s’agit pas de tout jeter à la poubelle !
A titre individuel, on peut toutes trouver quelque chose d’intéressant dans ces produits (livres, formations etc…). Et puis ça rassure de se dire que l’on a essayé un truc nouveau, que l’on a un peu changé sa routine, son miracle morning ou que l’on a consommé la dernière super food à la mode.
Mais finalement, ça ne change pas notre vie. Notre environnement ne change pas radicalement. Mais nous continuons à consommer du développement personnel…
Des origines dans la contre-culture des années 60
Le développement personnel s’adresse à des personnes en bonne santé (ce n’est pas une thérapie) qui veulent atteindre l’épanouissement personnel et/ou professionnel.
C’est dans les années 60 que le développement personnel trouve ses origines en opposition à la société hiérarchisée et productiviste de l’époque. On a commencé à opposer la connaissance de soi et l’épanouissement individuel au mode de vie très normé de l’époque. Le plaisir est opposé à la contrainte de la production et du rendement.
On veut mieux se connaître, et se développer selon ses propres aspirations au lieu de suivre le chemin tout tracé que la société nous propose à travers l’éducation puis la vie professionnelle.
Pense Mai 68 et Woodstock pour faire simple ou Sur la route de Jack Kerouac :
“Live, travel, adventure, bless, and don't be sorry.”
À l’origine, l’idée de mieux se connaître était donc liée à un besoin de liberté individuelle, d’autonomie et d’une vie authentique.
D’un mouvement de libération à une industrie
Prenons l’exemple du yoga. À l’origine, c’est une discipline spirituelle qui favorise l’unification des aspects physiques, psychiques et spirituels de chaque être humain. C’est comme ça qu’il a été introduit en Occident.
Et aujourd’hui, le yoga en Occident, c’est… une technique de développement personnel. Un remède au stress, au manque d’épanouissement. C’est devenu une activité dans laquelle on peut performer alors qu’à l’origine, il s’agit d’une pratique.
Encore une fois, il ne s’agit pas de dire que le yoga ne sert à rien.
Je médite tous les jours et je fais du yoga (pas très assidûment) et je sais le bien que cela me fait. Le problème, c’est l’instrumentalisation, la marchandisation et le marketing que la pratique occidentale du yoga a générées. Le yoga à l'occidentale est bien éloigné des principes de ses origines. Et puis il y a tout ce qui tourne autour : le lifestyle, les vêtements, les accessoires…
On estime que l’industrie du développement personnel représente 3 milliards d’euros par an. Entre 2021 et 2022, le chiffre d’affaires du développement personnel en France a été de 71 millions d’euros.
Et cette industrie s’est aussi développée dans le monde du travail.
De l’individualité à l’individualisme
Les années 60 ont lancé le règne de l’individualité. La personne y est devenue plus importante que le collectif : il fallait s’émanciper, vivre sa vie.
Comme dans un mouvement de balancier, la tendance ne s’est pas arrêtée à jouir de son autonomie, elle est allée jusqu’à l’individualisme, le règne de l’individu revendiquant le droit au bonheur, en quête de sens dans sa vie professionnelle comme dans sa vie personnelle.
Le sens du collectif s’est amenuisé. La quête d’une vie meilleure est éminemment individuelle.
Les entreprises et l’individu
Après la 2e guerre mondiale, 30% des salariées en France étaient syndiquées. Entre les années 50 et 70, le taux de syndicalisation s’est maintenu à 20% environ avant de chuter à 10% dans les années 90 et de se maintenir à ce niveau.
Dans les années 90, les entreprises opèrent également un mouvement vers l’individualisation : celle de la relation d’emploi. Là où les syndicats défendaient des grilles salariales, des promotions à l’ancienneté, les entreprises se mettent peu à peu à proposer des salaires individuels, à adapter les parcours professionnels aux individus et plus aux groupes de métier.
Chacune devient responsable de sa propre carrière. Le développement des compétences relève de la responsabilité de chaque salariée.
Quel rapport avec le développement personnel ?
Si tu es entièrement responsable de ta carrière et de son développement, il y a fort à parier que tu vas chercher à te développer. Tu vas essayer de performer mieux, de mieux gérer ton stress, de mieux gérer tes émotions, etc.
Et puis parallèlement, tout le monde te dit que tu le vaux bien ! Que tu as le droit de vouloir être heureuse au travail, d’avoir un job qui a du sens, de t’épanouir dans ta vie pro et perso. Tout ça passe de moins en moins par des revendications collectives et de plus en plus par une formation pour être plus assertive, pour développer ton leadership.
Et si ta qualité de vie au travail ne suit pas, c’est sans doute que tu ne sais pas gérer les personnalités difficiles ou dominantes… Il y a sûrement une formation pour ça.
Le manager coach
Au cœur de cette évolution : le management. Ce sont bien aux managers qu’est confiée la responsabilité de gérer les individualités et leurs revendications.
Le travail engage de plus en plus les émotions
Avec la tertiarisation de l’économie, le travail est devenu davantage relationnel : relations de plus en plus fréquentes avec la clientèle, relations dans une équipe et entre équipe, déstructuration des relations de management qui font que l’on s’adresse à tout le monde, tout le temps.
La tech vient soutenir ou encourager ce développement en permettant la communication synchrone et asynchrone, d’autres formes de communication aussi : pense à une collaboration en ligne sur un espace de travail partagé, par exemple.
Les messageries instantanées ont leur propre grammaire et leur propre lexique qui transforment la façon de communiquer.
Il y a un livre intéressant sur le sujet : Digital body language d’Erica Dhawan.
Un émoji mal compris, un point à la fin d’un message Whatsapp et la communication devient émotionnelle.
Les points d’échanges et de contacts sont multipliés par le tech, la communication est intensifiée et au milieu de tout ça, il faut gérer ses émotions et celles des autres pour continuer à collaborer.
Avec la clientèle aussi.
Les managers ne sont plus seulement responsables du bon fonctionnement du service, elles sont aussi responsables du bien-être de chaque personne.
La manager devient de plus en plus une coach qui aide ses collaboratrices à se développer dans l’entreprise. Et comme pour tout travail de coaching, il faut en passer par une meilleure connaissance de soi et de son rapport aux autres.
Comme dans le sport : coaching = recherche de la performance
Les métaphores sportives ne manquent pas dans le monde du travail et les sportives de haut niveaux qui se reconvertissent en speakers motivationnelles non plus !
On parle donc de performance de l’organisation sous couvert de développement personnel. Tu deviens plus performante mais pour qui ?
Tu deviens plus assertive mais dans quel contexte ?
Qui bénéficie le plus de tout ce travail personnel, de tout ce travail sur toi, que tu fais pour te développer ? Que le coaching soit demandé par ton entreprise ou à ta propre initiative, il servira autant sinon plus l’organisation que toi-même.
Le développement personnel est devenu un instrument utilisé par les entreprises pour obtenir une meilleure performance de leurs salariées.
Ça semble moins violent que le contrôle ou le micro-management, mais est-ce que ça l’est vraiment ?
Humanisation du contrôle ne veut pas dire disparition du contrôle
Les entreprises sont responsables de la santé et du bien-être de leurs salariées, c’est inscrit dans le code du Travail. Cette responsabilité, médiatisée par le recours au développement personnel - sous forme de formation au leadership, de cours de yoga ou de séances de sophrologie, par exemple - se retrouve partagée par les salariées elles-mêmes.
On va parler d’épanouissement personnel au travail, voire de bonheur et tu vas devenir responsable de faire ce qu’il faut pour atteindre cet état de réalisation personnelle.
Le contrôle de ton comportement ne se fait plus par des interactions avec ton management mais par des conseils sur le type de cours ou d’activités que tu devrais suivre.
Il faut être authentique mais pas émotionnelle. Il faut avoir de l’empathie pour mieux se connecter aux collègues et aux clientes mais il faut aussi gérer son stress. Il est bien vu de faire preuve de leadership et d’assertivité pour contribuer à l’innovation mais il ne faut pas trop briller, surtout en tant que femme.
À chaque problématique managériale, une réponse en termes de développement personnel. Le management quitte les aspects techniques du travail - qui existent même dans les métiers du service - pour investir le fait de policer les comportements et les personnalités.
Tout cela supporté par l’injonction sociétale à devenir la meilleure version de toi-même.
L’humanisation du management et du contrôle ne signifie pas que le contrôle a disparu : il a simplement changé de forme et est devenu plus acceptable puisque tu veux toi aussi t’améliorer…
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Voilà, c’est tout pour cette fois.